- STRATIFICATION SOCIALE
- STRATIFICATION SOCIALESTRATIFICATION SOCIALELes théories de la stratification ont en commun avec la théorie marxiste de chercher à rendre compte de l’inégalité des conditions que l’on constate au sein des sociétés. Alors que Karl Marx situe le principe d’explication de cette inégalité au niveau des rapports de production et conclut à une structure sociale divisée en classes antagonistes, les théories de la stratification conçoivent la société comme un ensemble de positions et de strates hiérarchiquement disposées en fonction d’une inégale distribution du pouvoir, de la richesse, des privilèges et du prestige.Dès lors, le terme de classe, bien que surtout destiné à caractériser les aspects économiques du phénomène, coïncide avec ceux de strate et de couche sociale: il désigne les groupes de personnes qui occupent des statuts comparables et partagent les mêmes conditions et perspectives d’existence. Ces groupes se distinguent selon plusieurs critères, dont le mode de vie, le revenu et l’éducation de leurs membres, ainsi que la tendance de ces derniers à adopter les mêmes modèles de comportement et à se fréquenter entre eux. Lloyd Warner insiste aussi sur des critères subjectifs, tels que la représentation que se font les individus de leur propre situation et la réputation qu’ils attribuent aux autres.Pour Max Weber, trois types de hiérarchies, reposant sur la propriété, sur le pouvoir et sur le prestige, se combinent pour fonder la stratification sociale: alors que les distinctions économiques et l’inégale répartition des biens déterminent les différentes classes, l’ordre politique engendre une hiérarchie entre les partis; et le degré de prestige ou d’«honneur» que la société accorde aux caractéristiques individuelles ou sociales donne naissance à une série de groupes de status . Il y a cependant une certaine correspondance dans la composition et les intérêts des classes, des partis et des groupes de status , et une relation étroite entre eux.De son côté, l’école fonctionnaliste fait de la stratification une nécessité de la vie collective. Selon Talcott Parsons, l’action sociale suppose une sélection et une évaluation des buts poursuivis par la collectivité, de sorte que les activités elles-mêmes sont évaluées et placées dans un ordre hiérarchique. On aboutit ainsi «à un classement différentiel des individus qui composent un système social donné et à leur qualification de supérieurs ou inférieurs les uns par rapport aux autres selon des valeurs importantes pour la société». C’est aussi en fonction de ce classement statutaire que s’opère la répartition des biens et du pouvoir. Il s’ensuit aussi que les critères de hiérarchisation varient avec le système de valeurs propre à chaque société: celui-ci peut, par exemple, mettre l’accent sur le maintien de la tradition ou, au contraire, sur l’efficacité technique; ce ne sont, dans les deux cas, ni les mêmes activités ni les mêmes qualités ou compétences individuelles qui auront le plus de prestige.L’universalité de la stratification semble notamment attestée par l’observation, dans certaines sociétés animales, de formes élémentaires de distinctions sociales et d’ordres de préséance. Pour en rester aux collectivités humaines, Roger Bastide a montré que les groupes primitifs connaissent une inégalité des positions et des privilèges (liée en particulier au sexe et à l’âge) à l’intérieur de leur système de parenté, ainsi qu’une structure de domination-subordination entre les différents lignages.En remontant à des formes plus complexes, on constate l’existence, dans des civilisations très anciennes, de véritables classes politiques et économiques superposées. On peut surtout voir dans le système des castes de l’Inde, avec son organisation rigide et son attachement à la règle d’endogamie, une forme extrême de stratification: selon Louis Dumont, c’est sur l’opposition de valeur entre les catégories religieuses du «pur» et de l’«impur» que se fonde la hiérarchie des castes; c’est aussi par référence à cette distinction que se répartissent entre ces dernières les différents métiers; par contre, la distribution du pouvoir est, à l’origine, un phénomène indépendant de ce principe de classification.Les ordres de l’Ancien Régime constituent un autre système hiérarchique à base héréditaire, mais de nature beaucoup plus souple. Weber les considère comme des groupes statutaires reposant sur le prestige (notamment sur l’honneur social accordé, au départ, aux fonctions militaires et religieuses).Dans les sociétés modernes, la stratification présente la propriété de ne pas être institutionnalisée. Elle est, en outre, marquée par l’apparition de nouvelles couches, en particulier des couches à caractère économique, liées à la civilisation industrielle. La profession devient un élément fondamental de la position sociale. L’acquisition des statuts dépend, en principe, des aptitudes individuelles, mais la mobilité sociale reste limitée par certains facteurs socio-culturels.Dans le cas des États-Unis, les sociologues distinguent généralement trois ou même quatre classes, quelquefois subdivisées en strates, selon les critères retenus (classes supérieure, moyenne, ouvrière, inférieure). C. Wright Mills a montré que la classe dirigeante s’y présente comme une élite rassemblant le pouvoir économique, politique et militaire. Il a, d’autre part, distingué l’ancienne classe moyenne, faite de petits entrepreneurs et de petits propriétaires, de la nouvelle, constituée essentiellement d’employés et de salariés non manuels, les «cols blancs».En Europe, la stratification a souvent des bases plus anciennes, notamment dans les élites, où l’origine sociale et l’élément culturel présentent un poids spécifique; plusieurs sociologues notent, à ce même niveau, la montée d’une nouvelle couche technocratique (phénomène constaté aussi en U.R.S.S.). D’autre part, le monde rural reste composé de strates particulières, bien différentes des couches urbaines.Les différents types de stratification sont, pour Parsons, en rapport avec l’intégration et l’équilibre social. Mais ils apparaissent surtout comme un facteur important de la dynamique sociale. Pour C. Wright Mills et Gerhard Lenski, l’inégalité sociale est une source permanente de tensions et de conflits; et elle entraîne, entre les classes et les groupes sociaux, une compétition pour le pouvoir et les privilèges. Dans la mesure où, d’après Bastide, les divers systèmes de subordination (économique, politique ou social) sont orientés par des valeurs, on peut voir dans ces luttes des conflits de valeurs; il en fut ainsi entre les valeurs qui assurèrent la montée de la bourgeoisie et celles sur lesquelles reposait l’autorité de l’aristocratie. Pour les sociétés modernes, Tocqueville pensait déjà que les principes qui sous-tendent la hiérarchie sociale se heurteraient au nouvel idéal égalitaire.
Encyclopédie Universelle. 2012.